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La souffrance psychosociale : éclairages du psychiatre Jean Furtos


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Il arrive que des professionnels de santé ou du social expriment un malaise face à des patients qu’ils ne reconnaissent plus. « Ils ne souffrent plus comme avant », disent-ils. Cette remarque, adressée à Jean Furtos, psychiatre, a été le point de départ de la création de l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité (ORSPERE).


Furtos y a consacré l’essentiel de ses travaux : comprendre la souffrance psychique d’origine sociale, celle qui naît non d’un trouble individuel, mais d’un contexte collectif, économique et symbolique devenu insécurisant.


Une souffrance amplifiée par la société contemporaine


Freud avait déjà observé dans Le malaise dans la culture que la souffrance liée aux relations humaines est la plus difficile à supporter. Jean Furtos reprend cette idée : aujourd’hui, la précarisation croissante des existences, la mondialisation et la perte de repères collectifs fragilisent profondément le psychisme.

Cette souffrance n’est pas seulement politique ou économique. Elle touche l’intime du sujet, sa manière de se sentir reconnu, utile, relié. Elle affecte tout autant les personnes accompagnées que les professionnels confrontés à ces détresses sans mots ni diagnostic.


La précarité, bien plus que la pauvreté


Furtos distingue avec soin pauvreté et précarité :

  • La pauvreté concerne un seuil matériel.

  • La précarité, elle, concerne la peur de perdre : emploi, logement, statut, lien social, identité professionnelle…

Dans une société riche, on peut être matériellement à l’aise et pourtant profondément précaire.La précarité n’est donc pas réservée aux marges : elle traverse toute la société, de l’ouvrier au cadre supérieur.Car la société elle-même est devenue précaire : chacun vit avec la conscience diffuse que tout peut s’effondrer.


Les “objets sociaux” : ce qui soutient la vie psychique


Pour Furtos, nous avons besoin d’“objets sociaux” pour nous sentir exister :le travail, l’argent, la formation, le logement, les diplômes, la reconnaissance.Ces objets assurent notre inscription dans le lien social.Les perdre – ou craindre de les perdre – ébranle les fondations de l’identité et de la confiance.

Ainsi, la peur de perdre devient un facteur majeur de souffrance contemporaine. Elle ronge la capacité d’espérer, d’anticiper un avenir possible, et alimente une forme de mélancolie sociale.


Quatre zones de la précarité


S’inspirant du sociologue Robert Castel, Jean Furtos décrit quatre zones pour penser la clinique de la précarité : quatre manières de réagir à la perte réelle ou anticipée des objets sociaux.


1. Zone d’intégration – la précarité “normale”

La perte est pensable. On peut souffrir, mais tout en gardant confiance : « Quoiqu'il arrive, je m’en sortirai ». Cette forme de précarité fait partie de la vie humaine. Elle devient plus difficile à supporter dans un monde où les repères collectifs s’effritent.


2. Zone de vulnérabilité – la précarité exacerbée

Ici, on n’a encore rien perdu, mais on vit dans la peur de perdre. C’est le stress diffus des classes moyennes, la fatigue existentielle, la perte d’espérance collective. Furtos parle d’un “syndrome du survivant” : la peur constante que tout s’effondre, sans objet précis.


3. Zone d’assistance – quand la perte est réelle

Certains objets sociaux (travail, revenu, statut) sont perdus. La souffrance prend la forme de honte, de découragement, d’inhibition. Mais elle reste réversible : une relation d’aide respectueuse, une reconnaissance symbolique peuvent réanimer le désir et la fierté. Furtos défend ici la valeur du mot assistance, trop souvent dénigré : aider n’a rien de péjoratif, à condition de le faire avec les personnes.


4. Zone d’exclusion – quand tout est perdu

C’est la précarité extrême : perte du lien social, du narcissisme, du sentiment d’exister. Pour ne plus souffrir, la personne se coupe d’elle-même : désubjectivation, anesthésie affective, clivage. C’est une souffrance hors langage, où l’aide doit d’abord recréer la possibilité d’un lien minimal.


Une clinique du lien social


Furtos parle de “clinique de la désaffiliation”. Quand le lien social se rompt, le corps, le psychisme et le comportement s’effondrent . Cette souffrance, généralement invisible ou mal comprise, met les aidants en difficulté : elle ne se soigne pas par des protocoles, mais par la rencontre, la reconnaissance, le respect.

Il ne s’agit donc pas seulement de soigner des individus, mais de réparer du lien social. Reconnaître la précarité comme universelle, c’est aussi se protéger soi-même de l’illusion d’en être indemne.


En conclusion

La pensée de Jean Furtos nous rappelle que la souffrance psychique d’origine sociale n’appartient pas aux “exclus” : elle est le miroir de notre époque. Elle traverse toutes les classes, tous les métiers, et appelle une clinique du vivre ensemble. Comprendre la précarité comme une condition humaine partagée, c’est déjà commencer à la soigner.


Jean Furtos a été psychiatre. Chef de service en psychiatrie au Centre hospitalier Le Vinatier à Bron (Lyon), il a fondé en 1995 un observatoire qui travaille avec les intervenants de première ligne de la clinique psychosociale : l’ORSPERE (Observatoire régional Rhône-Alpes sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion), devenu en 2002 l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité (ONSMP) avec le soutien de la direction générale de la Santé et de la direction générale de l’Action sociale.


Il a été directeur de la publication de Rhizome, bulletin "santé mentale et précarité" édité par l’ONSMP, et a notamment publié Les Cliniques de la précarité, contexte social, psychopathologie et dispositif (Masson, rééd. 2008).


article issu de La souffrance psycho-sociale : regards de Jean Furtos - Marianne Prévost Santé conjuguée n° 48 - avril 2009

 
 
 

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© 2025  laetitia Veyron Psychologue

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